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Bien gérer les objectifs d’entreprise – Conseils d’un coach OKR Laurent Morisseau

Dans cet interview de Laurent Morisseau, auteur du livre “La boîte à outils de la méthode OKR - Objectifs et Résultats Clés”, vous allez découvrir tout le potentiel de la méthode OKR pour gérer les objectifs. Cette méthode, qui se diffuse dans toutes les industries, a par exemple aidé Google à multiplier sa croissance par 10 à plusieurs reprises et à concrétiser ses objectifs les plus fous.

Cet interview en vidéo vous permettra de :

  • Comprendre quelle est la principale problématique à laquelle la méthode OKR s’attaque (en particulier le problème d’alignement entre la stratégie de l'entreprise et les actions réalisées par les collaborateurs sur le terrain).
  • Cerner pourquoi les OKR vont plus loin que les autres solutions de gestion des objectifs
  • Découvrir les résultats observés sur le terrain
  • Bénéficier de 3 précieux conseils de Laurent pour réussir à mettre à profit les OKR dans VOTRE contexte professionnel

Introduction à l'Interview

Florent Lothon : Est-ce que vous saviez que selon Larry Page, le cofondateur de Google, la méthode a aidé Google à multiplier par dix sa croissance à plusieurs reprises aujourd'hui ? Notre objectif, c'est de vous aider à cerner tout le potentiel de cette méthode qui révolutionne la gestion des objectifs dans toutes les industries aujourd'hui. Pour aborder ce sujet, j'ai la chance d'avoir avec moi un expert français de cette méthode et auteur d'un livre de référence sur le sujet, Laurent Morisseau. Merci beaucoup Laurent d'être avec nous.

Laurent Morisseau : Bonjour Florent, Bonjour à tous.

Expérience et Perspectives de Laurent Morisseau sur les OKRs

Florent Lothon : Depuis que tu exerces ton métier de consultant, j'imagine que t'as rencontré beaucoup d'entreprises de différentes tailles, cultures, secteurs. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? Est-ce que tu les as comptées ?

Laurent Morisseau : Alors, je les ai pas comptées. Déjà, juste pour me situer, ça fait quinze ans que je suis à mon compte et que j'interviens comme coach agile, d'abord au niveau des équipes et puis de plus en plus vers l'organisation. Avant les OKR, ça faisait partie de ma boîte à outils. Mais depuis quelques années, c'est devenu un métier à part entière. Je suis coach OKR. En tant que coach OKR, je suis intervenu dans des contextes très différents, de la startup jusqu'au grand compte, et dans des entreprises de secteurs très variés, pas seulement dans le digital ou l'agile. Les missions sont beaucoup plus diversifiées qu'avec l'agilité.

Comment les OKRs Résolvent les Problèmes d'Exécution Stratégique ?

Florent Lothon : Et du coup, pour commencer à rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu peux nous dire quelle est la principale problématique que la méthode OKR aide à résoudre dans les entreprises ?

Laurent Morisseau : Ouais, c'est pas simple, parce que sur les OKR, il n'y a pas de définition très claire. Ça aide à se focaliser sur l'essentiel, à prioriser, à filtrer. Mais au-delà de ça, ça résout quel problème ? Moi, j'ai l'habitude, et je ne suis pas le seul, de positionner les OKR comme un outil d'exécution de la stratégie. Dès que la stratégie est apparue, l'exécution de la stratégie est devenue un problème. On a cherché à résoudre ce problème, et c'est toujours une difficulté. Les OKR interviennent dans ce cadre d'exécution de la stratégie. Notamment, quand on fait des enquêtes, le problème le plus récurrent, c'est l'alignement : s'assurer que les décisions prises par les stratèges correspondent aux actions réalisées par les collaborateurs sur le terrain. Les OKR cherchent à résoudre ce problème d'alignement. C'est revenu à la mode parce que la stratégie doit être adaptative aujourd'hui, se confronter à la réalité et s'adapter au contexte changeant. Les OKR sont bien adaptés à cette dynamique.

Les Limites des Méthodes Traditionnelles de Gestion d'Objectifs

Florent Lothon : Ok, très bien. Et justement, avant les OKR ou à défaut des OKR, quelles sont les solutions les plus couramment adoptées pour répondre à cette problématique ? Et quelles sont les limites de ces solutions ?

Laurent Morisseau : On retrouve toutes les approches de gestion d'objectif d'entreprise. Ce qui fait la différence, c'est l'intention et l'implémentation. En France, on connaît surtout le MBO (Management by Objectives). La grande différence, c'est que l'implémentation est en cascade : ça descend des niveaux hiérarchiques, du haut vers le bas. On définit des objectifs plutôt individuels entre le manager et son subordonné. Ça limite la capacité à avoir des objectifs plus transverses, à favoriser la collaboration, à casser des silos. La deuxième limite, c'est que comme on a des objectifs plutôt individuels, la tentation est grande d'associer l'atteinte de ces objectifs à l'évaluation de la performance individuelle. Et ça, c'est un problème. Si les objectifs sont l'exécution de la stratégie, la stratégie est porteuse d'ambition. Les objectifs doivent refléter cette ambition. Sauf que si mon objectif est associé à mon évaluation, donc potentiellement des bonus, je vais le négocier à la baisse pour être sûr de l'atteindre. Si tout le monde fait ça, on négocie à la baisse l'ambition de la stratégie de l'entreprise, et ça, ce n'est pas acceptable. Le management par objectif reposait sur un processus, un cycle annuel, c'était plutôt une usine à gaz. Sur des cycles d'un an, ce n'est plus acceptable sur des cadences plus courtes. Les OKR sont sur des cadences trimestrielles. Il faut quelque chose de beaucoup plus simple, plus organique que hiérarchique.

Principes Fondamentaux des OKRs

Florent Lothon : Ok, c’est très clair. Et est-ce que tu peux maintenant nous résumer les grands principes de la méthode OKR qui, selon toi, vont vraiment faire la différence par rapport à des méthodes plus classiques de gestion des objectifs. Tu as déjà en partie répondu à la question, mais peut-être que tu veux compléter.

Laurent Morisseau : Bien sûr. Déjà, les grands principes, c'est qu'on va diminuer le nombre de niveaux d'implémentation des OKR dans l'entreprise. Généralement, on s'arrête à deux niveaux : les cycles d'OKR stratégiques et les cycles d'OKR tactiques. On peut le reformuler en objectifs de l'entreprise ou du Business et les objectifs de l'équipe. Le premier est plutôt annuel, le second est plutôt trimestriel. Plutôt que d'avoir cinq, six, sept étages d'objectifs en cascade. Donc, ça pose la question d'où est-ce qu'on part, à partir de quel niveau on met les OKR et à quel niveau on s'arrête. Typiquement, les OKR ne sont pas individuels. Je l'ai dit tout à l'heure, on s'arrête au niveau des équipes. Il y a des entreprises, tu citais Google, qui utilisent les OKR individuels. Sauf qu'ils ont trente ans d'expérience et de maîtrise de l'outil. Donc, ils savent le faire sûrement à bon escient et de manière efficace. Les bonnes pratiques, c'est de ne pas commencer avec des OKR individuels. Éventuellement, y aller petit à petit, mais c'est pour plus tard. Donc, on s'arrête au niveau des équipes.

Exemple d'OKR

Florent Lothon : Pour les personnes qui ne connaissent pas encore le sujet des OKRs, je te propose de donner un exemple et de te laisser réagir ensuite. Imaginons une entreprise lambda qui est spécialisée dans le marketing par exemple, et qui a envie de percer sur sa région. Dans OKR, il y a la lettre "O" pour pour objectif. Et la formulation de l'objectif pourrait être : "Devenir l'entreprise plébiscitée par les clients de notre région en marketing digital d'ici la fin de l'année".

Avec cette formulation, on a un positionnement dans le temps, on a un challenge collectif, on est sur un objectif qui est clair, inspirant. Ça nous donne une direction. Et puis ensuite, on a les KRs, les Key Results, autrement dit les Résultats Clés en français. Ce qui pourrai donner par exemple :

  1. augmenter le nombre de clients sur la Nouvelle-Aquitaine de 25 %,
  2. améliorer la satisfaction client pour atteindre une note moyenne de 4,5 sur 5,
  3. augmenter le chiffre d'affaires annuel sur la région Nouvelle-Aquitaine de 20 %. 

On voit à travers cet exemple qu'on augmente la clarté et l'alignement, parce que tout le monde sait exactement quels sont les objectifs, ce qu'il doit faire pour les atteindre. Il y a un côté motivant parce qu'on est sur des objectifs qui sont souvent ambitieux et motivants en termes de challenge, et qui donnent à chacun finalement une raison de se dépasser. Il y a aussi cette transparence puisque le gros avantage, c'est qu'on peut mesurer nos progrès. Les progrès sont suivis, sont partagés, ce qui encourage la collaboration, la responsabilisation. Ça évite tous les inconvénients que peuvent avoir des objectifs implicites.

Donc, si je résume à ma façon les choses et après, je te laisse compléter, c'est que les OKRs aident à transformer des grands objectifs en actions concrètes et mesurables, ça rend les progrès tangibles et ça facilite finalement la coordination, l'implication, la motivation de toutes les équipes. Mais ça, finalement, ce n'est que la partie émergée de la méthode si j'ai bien compris en lisant ton livre notamment. Donc je te laisse compléter cet exemple et ma vision des choses.

Laurent Morisseau : Oui c'est un bon exemple. Et tu as bien résumé ce que ça peut apporter. Je vais compléter.

Le premier point sur lequel je vais compléter, c'est que, effectivement, les résultats clés, c'est le critère de succès de l'atteinte d'un objectif, ça réponds à la question "Comment je sais qu'on a réussi ?", mais c'est aussi une manière de mesurer la progression vers cet objectif en cours de route. Et ça, c'est très important parce que finalement, pour atteindre notre objectif, en général, on a un plan. On a des idées pour y arriver, des solutions, mais ces meilleures idées qu'on a au démarrage et on peut se rendre compte en cours de route que c'est pas forcément les meilleures idées. Donc, ça ne nous fait pas progresser vers l'objectif tel qu'on le pensait, et donc il faut être en capacité de changer notre plan en cours de route. Par conséquent, les résultats clés doivent nous aider à prendre des décisions. En fait, les OKRs, c'est un outil pour prendre des décisions. Et ça, c'est assez important, parce que ça signifie qu'un OKR n'est pas porteur de la solution et on l'a bien vu dans ton exemple. On ne sait pas comment on va y arriver, on sait où on doit être à la fin, mais pas comment on va y aller. Ça laisse toute la liberté pour décider du plan d'action et d'ajuster ce plan d'action en cours de route. Et pour revenir sur l'agilité, en fait, ça vient renforcer l'agilité qu'on a déjà pu mettre en place dans les organisations et au niveau des équipes. C'est le premier point.

Et après tu mentionnais le fait que ça rend actionnables nos objectifs. Là, on voit bien avec cet exemple que si je suis membre d'une équipe, quelle qu'elle soit, des objectifs financiers, de satisfaction client, etc, c'est un petit peu loin de moi. Si on me demande comment contribuer à cet objectif, qu'est-ce que je vais faire, comment je pourrais y arriver, c'est un petit peu difficile, il y a beaucoup de distance. Et donc, on comprend bien que les objectifs stratégiques, puisque ton exemple est celui d'un OKR stratégique, ce n'est pas suffisant. Il faut des objectifs tactiques plus proches avec un horizon de temps court, une portée moins grande pour que je puisse comprendre ce qu'on attend de moi et proposer des choses. Donc typiquement, avec un objectif plus orienté sur un produit, ou un service. Et là, je vais savoir contribuer.

Résultats Concrets Observés avec les OKR

Florent Lothon : Parmi les entreprises que tu as pu observer ou accompagner, qui utilisent la méthode OKR ou les OKRs indépendamment de la méthode peut-être, c'est quoi les résultats concrets que tu as pu observer de ta fenêtre ?

Laurent Morisseau : Alors, il y en a plusieurs. Je dirais le premier, c'est de passer d'un pilotage par les livrables à un pilotage par les impacts ou les résultats. Classiquement, la stratégie, elle est dans la tête de quelqu'un, peut-être partagée au niveau d'un comité de direction, peut-être sous forme de diapositives Power-Point, souvent ce n'est pas vraiment une stratégie, c'est plus une vision, des ambitions, mais peu importe. Et surtout, ça va se traduire par une roadmap de projets. Et c’est plutôt ça qu’on va communiquer, piloter et vérifier qu’on l’atteint. Donc, c'est un pilotage par les livrables. Mais on se pose rarement - ou moins - la question de : finalement, le fait de réaliser tous ces projets, est-ce que ça porte ses fruits ?

Et là, il faut basculer sur le pilotage par les impacts. Est-ce que les OKRs nous aident à maximiser l’impact de la stratégie ? Difficile à dire parce qu’il faudrait évidemment avoir une approche comparative. Ce qui est sûr, ce que je remarque très concrètement, c’est qu’on est beaucoup plus focus. Et ça, ça se traduit par le fait que quand on commence, on a du mal à se concentrer sur un nombre limité de'OKR, peut-être dix, vingt, peut-être un peu moins. Et puis, plus les cycles avancent, plus on avance dans notre compréhension et prise en main des OKRs, plus on est focus et moins on en a. Donc, une bonne pratique, c’est déjà de limiter le nombre d’OKRs.

Le deuxième point qui est très, très significatif, c’est qu’on voit une progression dans la maturité de ceux qui s’approprient vraiment cet outil. Les discussions au début sont très opérationnelles : "Comment je vais faire ça ?". Puis, elles se concentrent sur les résultats clés : "Comment je vais mesurer ?". C’est quoi les bonnes métriques qui te permettent de suivre la progression ? Puis, sur l’objectif, c’est-à-dire qu’on voit bien que cycle après cycle, on monte en termes de niveau de prise de décision. Pour illustrer ça, un de mes premiers clients, le CIO m’avait contacté justement pour aider son comité de direction à monter en compétence sur les discussions et les décisions stratégiques. Et ça a marché.

Florent Lothon : Est-ce que t'as pu également observer des changements de comportement au niveau des équipes, des gens qui se lèvent le matin avec la banane parce qu'ils comprennent mieux ce à quoi ils contribuent, etc ?

Laurent Morisseau : Très concrètement, la banane, ça vient du fait qu'ils trouvent du sens. Ça donne du sens à ce qu’on fait au jour le jour parce qu’on peut le relier. Je peux relier mon action à un OKR qui est lui-même relié à une stratégie. Derrière la notion d'alignement, il y a donner du sens à tout ce qu’on fait. Mais ça a des effets un peu pervers, c’est-à-dire que ceux qui recherchent ça, à un moment donné, ne feront plus d’autres sujets s’ils ne sont pas portés par des OKRs. Donc, ça pose une vraie question, parce que tout le travail réalisé dans une entreprise ne va pas être porté par des OKRs. On est dans l’exécution de la stratégie, mais il y a aussi l’exploitation de nos actifs, de ce qu’on a déjà. L’entreprise, c’est à la fois exploiter ce qu’elle a déjà et se transformer pour demain. Les OKR portent sur cette deuxième partie, mais la première partie, l’exploitation, elle est toujours présente. On doit toujours le faire.

Florent Lothon : Ok. Là, on est plutôt sur des KPIs par exemple.

Laurent Morisseau : Exactement, c’est peut-être d’autres choses, des responsabilités clés. Enfin, il y a différents moyens de suivre ça, mais c’est toujours présent.

Conseils pour les Managers Débutants avec les OKR

Florent Lothon : Maintenant, si on pense à un manager qui découvre les OKRs et qui a envie de pousser ça dans son entreprise, est-ce que tu aurais pour lui trois conseils à lui donner, peut-être même des anecdotes ou des erreurs que t’as pu observer et qu’on pourrait lui éviter ?

Laurent Morisseau : Oui, il y en a plein des conseils. Si on peut en choisir trois, je me concentrerai sur le fait d’avoir des OKRs trimestriels et une contribution des équipes, donc des OKRs au niveau des équipes. Parce que justement, j’ai des exemples de clients qui s’arrêtent aux objectifs stratégiques, donc annuels. Et finalement, à l’usage, ils se disent : "Mais je comprends pas, on n'arrive pas à embarquer les gens avec cet outil (OKR)". Oui, parce que ça ne descend pas au niveau des équipes. Il faut les amener à co-construire, à utiliser cette intelligence collective pour les engager.

Le deuxième point, c’est évidemment d’avoir un suivi régulier des OKR, hebdomadaire, ou bimensuel. Parce que ce qu’on constate en général, c’est que quand on définit les OKRs, c’est un moment plutôt dynamique, engageant. Les gens apprécient largement, mais il ne faut pas que ça tourne aux bonnes résolutions de début d’année qu’on oublie dès qu’on mange notre galette des rois. Tout ça n’a d’intérêt que si les OKRs sont utilisés comme un outil d’aide à la décision pour décider de ce qu’on doit faire pour atteindre nos objectifs et ce qui est important. Donc, le suivi.

Et puis après, le troisième conseil, c’est que ça a l’air simple : objectifs, résultats clés. Les objectifs, on connaît, les résultats clés, c'est des métriques. On a déjà eu des objectifs, des KPIs ou autre. Enfin bref, ça a l’air simple, mais en réalité, il faut un processus, des rôles, de la formation, de l’accompagnement qui peut être interne, peu importe. Parce que ce sont des compétences à acquérir, généralement pas au niveau d’un comité de direction, mais au niveau des équipes. On va chercher à ce que les équipes soient justement porteuses de leurs propres OKRs, elles vont les définir, mais elles n’ont pas forcément l'habitude, ni les compétences pour ça. C’est le premier point. Et même pour définir des objectifs à titre individuel, tout le monde ne sait pas forcément le faire et s’engager sur des objectifs communs d’équipe, c’est une compétence d’équipe à acquérir. Donc, il y a de l’accompagnement, du changement, toutes ces choses à mettre en place et c’est vraiment important.

Moi, j’interviens pour rendre ça concret, soit pour mettre en place un programme OKR, ça on comprend, mais quelquefois pour rattraper un programme OKR qui a été lancé sans justement toutes ces fondations et qui ne porte pas ses fruits, on essaie de le remettre sur des rails.

Florent Lothon : C’est d'ailleurs un parallèle qu’on peut faire avec les méthodes agiles qui paraissent très simples comme ça parce qu’elles sont simples au final. Mais à maîtriser, ça demande de la pratique, de la montée en compétence, de la rigueur. Et la conduite du changement.

Questions des abonnés de la newsletter L'Agiliste

Quelles sont les statistiques en termes d'adoption de la méthode OKR en France ?

Laurent Morisseau : En France, on en parle beaucoup, mais finalement, on en sait peu. Donc, je vais avoir deux niveaux de réponse. Le premier, c'est que je fais partie d'un collectif d'experts internationaux qui ont lancé cette année un baromètre, donc une enquête qui permet d'avoir des informations. Comme c'est international, notamment en France, vous allez peut-être trouver des informations qui répondent à cette question-là d'adoption de la méthode OKR.

Après, j'ai d'autres niveaux de réponse plus qualitatifs. En France, il y a le forum OKR qui existe, ça fait trois ans. C'est un forum qui n'est pas encore grand public, qui est en ligne, sur une demi-journée. Ça a lieu en juin. Donc il y a déjà une communauté qui existe, et dans la communauté agile, on voit depuis deux, trois ans des conférences sur le sujet. Donc, ça arrive. Et moi, ce que je constate après, pour être plus précis, c'est qu'il y a deux familles d'entreprises qui viennent me voir et dont les raisons d'implémentation de la méthode OKR sont très différentes. La première, ce sont les organisations qui sont en forte croissance, donc des startups ou des scale-ups précisément, dont le besoin consiste à faire face à cette croissance forte. Ce qui veut dire embaucher des équipes, s'assurer que ces équipes soient bien alignées, prennent les bonnes décisions alors que finalement, les managers et l'histoire de la boîte sont très récents, donc on n’est vraiment pas sûrs que tout soit compris. On rend alors les choses transparentes et non tacites pour s'assurer que tout le monde prend les bonnes décisions. Et le deuxième cas de figure, ce sont plutôt des entreprises établies qui sont en transformation. Dans le premier cas, c'est plutôt porté par les CEO. Et le deuxième, c'est plutôt porté par les centres de transformation, lean agile typiquement. Et donc, c'est dans ce cadre-là qu'on entend beaucoup parler des OKRs dans la communauté.

Souvent, l'atteinte des objectifs doit être faite sans soutien régulier au programme, sans budget supplémentaire et sans allouer du temps aux acteurs concernés. Comment convaincre les directions sur les moyens à mettre en œuvre, surtout concernant le temps à allouer ?

Laurent Morisseau : C'est une question qui revient régulièrement. Et en fait, ça m'interroge toujours sur comment les OKRs sont utilisés quand on a ce problème. Parce que fondamentalement, si les OKRs c'est l'exécution de la stratégie, l'exécution de la stratégie, elle existe avant les OKRs, elle a toujours existé. Donc, il y a des choses en place, il y a du temps alloué à ça. Forcément, parce que c'est ce qui est prioritaire après les urgences du quotidien. Donc, normalement, on ne devrait pas avoir cette question-là. La question, c'est : est-ce que les OKRs sont bien positionnés, est-ce que c'est l'outil qui est utilisé pour le bon processus ? Ça, c'est le premier point.

Après, derrière cette question, il y a le temps lié au processus lui-même. Donc, il y a des ateliers, des revues, des bilans. Et ça, en fait, c'est la suite de ma première réponse. Comme il y a déjà un existant, ce qu’on essaie de faire le plus possible, c’est d’intégrer les OKRs dans cet existant, de ne pas rajouter une surcouche. Typiquement, si j'ai une équipe Scrum, on a déjà des réunions de planification, des réunions de bilan (début de sprint, fin de sprint), on va intégrer les OKRs dans ce contexte-là et ne pas rajouter. Si on fait une rétrospective de fin de cycle, ce n’est pas une rétrospective en plus, c’est la dernière rétrospective du cycle qui a pour thème un OKR. Quand on est dans SAFe (Scaled Agile Framework), on a un PI (Program Increment), on va intégrer les OKRs. C’est ce que propose SAFe, et ils ont bien intégré les OKRs dans ce contexte-là. Donc, c’est de les intégrer à l’existant. Ça, c’est le deuxième point.

Le troisième : normalement, utiliser les OKRs, c’est se concentrer sur ce qu’il y a de plus important. Donc, si on n’a pas le temps pour les OKRs, c’est qu’on a trop de choses et que le cadre de priorisation n’est pas super efficace. Les OKRs, c’est un investissement pour se dire maintenant, on va être plus efficace dans notre capacité à filtrer. On ne va pas tout faire. Et comment on va réussir à ça ? En fait, on va limiter le nombre d'OKR, c’est très concret. Donc, dans un comité de direction, souvent la stratégie, quand elle est mal faite, c’est l’agrégation de toutes les idées qui remontent de tous les départements. Donc, les décisions, c’est qu’il faut arbitrer parce qu’on n’a pas la capacité de tout faire. Effectivement, quand on est à 100% et qu’on dit maintenant, on va mettre en plus les OKRs, c’est difficile. Là, on va inverser la discussion et se demander quels sont nos objectifs. Ce n’est pas la somme des objectifs de tout le monde. Quels sont les trois objectifs, les trois OKR donc, qu’on garde et sur lesquels on va s’engager pour l’entreprise ? Il faut dire non dès le début, c’est-à-dire dès le niveau du comité de direction, et pas sur la base de la capacité, mais sur la base de nos ambitions, de la stratégie. Ça fait toute la différence.

Florent Lothon : Et ça fait de la place !

Laurent Morisseau : Et oui, ça fait de la place. Après, on récupère du temps normalement pour faire ce qui est porté par les OKR.

Alors, comme j’ai dit tout à l’heure, il y a toujours la part de "business as usual" (l’exploitation de l'existant). Et donc là, il y a une décision au niveau de la direction qui est : quel budget on alloue pour faire tourner l’entreprise (exploiter l'existant) ? Quel budget on alloue pour exécuter la stratégie ?

Quels sont les services qui sont les plus réfractaires d’après ce que t’as pu observer ?

Laurent Morisseau : Je ne dirais pas "réfractaires", mais parfois c’est plus difficile de mettre en place les OKRs. La première réponse, c’est plutôt un point d’attention. C’est que sur la partie RH, on peut très bien mettre les OKRs et ils peuvent être porteurs de cette démarche. Faisons juste attention à la tentation de les lier à l’évaluation de la performance, comme je l’ai évoqué. Mais sinon, ça peut très bien se passer. Sinon, c’est tous les services, les départements ou les équipes qui ne sont pas concernés directement par la stratégie. On n'est pas tous, tout le temps, acteurs de cette stratégie. Ceux dont le métier est plutôt l’exploitation (business as usual). Là, ils sont peut-être plus associés à des KPIs, donc les OKRs ne leur parlent pas forcément ou ne leur apportent pas beaucoup de valeur ajoutée. Si ça n’a pas de sens, ça n’a pas de sens.

Comment les convaincre du bien-fondé de cette méthode ?

Laurent Morisseau : C’est la responsabilité des dirigeants de savoir comment implémenter, comment exécuter cette stratégie. Quand je parle de stratégie et de dirigeants, je tiens à préciser que ça peut être à différents niveaux d’entreprise. On peut décliner, on peut avoir une stratégie pour un service, une business unit, une stratégie pour un produit et on peut partir avec des OKRs à partir d'une stratégie produit, d’une organisation de produit. Donc, quand je parle de dirigeant, c’est partir au bon niveau.

Est-ce que c’est judicieux de lancer les OKRs sans impliquer l’ensemble des services ?

Est-ce que la combinaison de Scrum et OKR peut se faire à n'importe quel moment, même si, par exemple, l'entreprise est en train de mettre en place OKR ?

Et est-ce que tu as des exemples d'entreprises qui ont réussi cette intégration ?

Laurent Morisseau : Avant, je vais juste revenir encore sur la le bien-fondé. Comment les convaincre sur la question : "comment les convaincre sur le bien-fondé de la méthode OKR ?".

En fait, c'est de leur responsabilité. Donc normalement, on n’a pas à les convaincre de ça. Par contre, ce qu'on va essayer de comprendre, c’est les premières questions que je pose. En général, c’est : quel problème cherche-t-on à résoudre ? Finalement, qu’est-ce qu’on a comme problème sur l’exécution pour voir si l’outil répond à ce problème ? C’est revenir au Why, toujours.

Pour la question : "peut-on lancer les OKR sans impliquer tout le monde ?" Oui, c’est possible. Je relativise par rapport à la taille de l’entreprise. Une entreprise de dix, vingt personnes, on va y aller direct avec toute l’entreprise. La taille grandit, le nombre d'équipes, le nombre de services augmente et tout de suite, il y a la question. En fait, les OKR, c’est simple. C’est une méthode un peu sur étagère. Elle est robuste dans le sens où elle marche de la startup au grand compte. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne va pas l'implémenter de la même manière. Evidemment dans une startup, ça serait une usine à gaz ou dans un grand compte, ça serait trop léger. Donc, il faut trouver la bonne manière d'implémenter les OKR dans son contexte. On ne commence pas par un big bang, on va commencer par apprendre. Donc, on va essayer un pilote. Généralement, on commence d’ailleurs par les dirigeants pour qu’ils appréhendent bien tout ce que ça veut dire. Puis après, on va avoir un pilote pour voir si ça répond bien, si ça marche bien pour nous, et puis voir comment on l’utilise. Puis, petit à petit, on va déployer dans les services. Donc, commencer avec une équipe, un service, ça a tout à fait du sens dans ce contexte-là, pour apprendre à marcher.

Reste la question de la combinaison OKR - Scrum. Alors de manière déjà plus générale, les OKR, on peut les mettre en place dans des contextes qui sont déjà agiles ou qui ne sont pas du tout agiles. Et généralement, ça marche dans les deux cas. Sauf que dans le cas où ce n’est pas agile, on rend visible des problématiques que l'on va essayer de résoudre. Par exemple, une problématique simple, c’est si je me mets un objectif à trois mois et que ma gestion de projet est plutôt en approche classique (en cascade / waterfall) et que je ne suis pas capable de sortir un incrément qui a de la valeur, qui offre un résultat qui va avoir un impact en trois mois, j’ai un problème. Ça les rend visibles et petit à petit, on va essayer de les résoudre avec l'agilité et peut-être d’autres réponses. Et le mettre en place avec Scrum. Scrum, ça marche très bien avec. Comme je l’ai vécu et comme certains coach agiles me font ce retour là, en fait les OKR ont le même état d’esprit et processus que les sprints, mais juste à un horizon de temps et à une portée un peu plus grande. Sinon, la philosophie et ce qui se passe sont très proches, donc les deux marchent très bien ensemble. Oui, j’ai eu des exemples d’entreprises qui utilisent les deux. Mais au-delà de ça, je suis pas un pro-SAFe mais c'est un bon exemple. Ils ont encore plus intégré les OKR dans la dernière version, la V6, à deux niveaux. Aujourd’hui, on se rend compte que les OKR sont déployés dans le contexte de SAFe, dont Scrum et Kanban et que ça fonctionne bien. Je ne dis pas que c’est simple, mais l’intégration se fait bien.

Pour aller plus loin

Florent Lothon : Pour ceux qui vont vouloir aller plus loin, on a des ressources qu'on peut proposer, notamment celles de Laurent. Tu as fait un manuel OKR gratuit sur ton site. J'ai mis les liens dans la vidéo. On a aussi ton livre, évidemment. Ce qui est intéressant avec ton livre, que j'ai là d'ailleurs, je vais essayer de le rendre visible à la caméra. Voilà, c'est que ça va vraiment dans le détail. C’est très complet, aussi bien sur la méthode en soi que sur tout l'aspect de la conduite du changement. Il y a même des ateliers qui servent l'adoption des OKR, etc. C’est très, très complet. Pour l'avoir lu en détail et l'avoir étudié dans tous les sens, je trouve que c'est un livre très généreux. Donc, je le recommande chaudement. Je précise pour éviter tout conflit d'intérêt que pour connaître les revenus des auteurs de livres sur des domaines d'expertise, ce n'est pas avec ça qu'on gagne sa vie. Le but n'est pas de faire une vidéo promotionnelle, mais très sincèrement, c’est un super partage que tu as fait avec ce livre-là. Merci beaucoup Laurent.Il y a aussi des formations, évidemment. Pour ceux que ça intéresse, Laurent donne des formations sur le sujet, des formations certifiantes. Les liens sont sous la vidéo. Il y a aussi notre article sur le sujet qui va intéresser à la fois quelqu'un qui découvre les OKR et souhaite les intégrer avec Scrum. J’ai essayé de tourner ça sous forme d'une étude de cas. On est sur un article assez approfondi. Ça vous donne des ressources à la fois gratuites et payantes pour aller au niveau où vous voulez aller sur cette aventure OKR.

Laurent Morisseau : En complément, je propose des formations certifiantes sur ce sujet, et les liens sont disponibles sous la vidéo. Il y a également mon article qui peut intéresser ceux qui découvrent le sujet des OKRs, en particulier sur leur intégration avec Scrum. J'ai structuré l'article comme une étude de cas, ce qui le rend assez approfondi.

Laurent Morisseau : Pour revenir sur le livre, bien qu'il y ait d'autres ouvrages comme "Measure What Matters" de John Doerr (existe aussi en Français) ou "Radical Focus" de Christina Wodtke, mon livre a été conçu pour être un outil pratique. Il est pensé pour rester à portée de main et être utilisé lors de la préparation des ateliers. Sur mon site, vous trouverez également d'autres ressources comme des podcasts et des articles pour ceux qui souhaitent creuser davantage le sujet. Concernant l'intégration des OKRs avec Scrum, c'est un aspect que d'autres abordent déjà bien, donc mon focus est plus sur l'application des OKRs à l'échelle de l'entreprise plutôt que leur intégration spécifique avec Scrum.

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Florent Lothon

A propos de l'auteur

Expert de terrain en gestion de projet et management d'équipe. Florent fait partie des pionniers dans l'usage des méthodes agiles sur des projets à forts enjeux en France dès 2007. Co-auteur du livre "Devenir une Entreprise Agile".

Expert de terrain en gestion de projet et management d'équipe. Florent fait partie des pionniers dans l'usage des méthodes agiles sur des projets à forts enjeux en France dès 2007. Co-auteur du livre "Devenir une Entreprise Agile".

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